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PwC : une même enseigne réputée : deux conceptions fort différentes de la RSE

Dans un précédent article a été montrée la différence de pratique professionnelle entre PwC Suisse et PwC Luxembourg. Cette approche par comparaisons permet de mettre en exergue des anomalies ou des dysfonctionnements.


PwC : une même enseigne réputée : deux conceptions fort différentes de la RSE
C’est à présent avec PwC France que l’on peut comparer PwC Luxembourg en matière de RSE (Responsabilité Sociale ou Sociétale de l’Entreprise).

Dans ces deux juridictions PwC est très engagé pour promouvoir la RSE. Mais à l’examen des textes, des différences substantielles apparaissent dans la définition même de la RSE et notamment dans son application pour le secteur financier.

Si la conception française place l’éthique des affaires au cœur de la démarche, la conception luxembourgeoise est une démarche de prestige et de démonstration de ses moyens.

L’approche française : une démarche d’éthique des affaires avant tout

PwC France est très engagée en matière de RSE sous la houlette d’Yves Medina (1) son déontologue auteur de diverses publications et notamment d’un ouvrage de référence sur la déontologie (2).
Par son adhésion au Pacte mondial, initiative lancée en 1999 par Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, pour promouvoir la responsabilité sociétale des entreprises, PricewaterhouseCoopers s’est engagé à respecter en France les 10 principes du Pacte, relatifs aux droits de l’Homme, aux normes du travail, à l’environnement et à la lutte contre la corruption, mais aussi à communiquer de façon concrète sur ses actions engagées dans ces différents domaines. Parmi les actions concrètes présentées par PwC France dans ses rapports de responsabilité sociétale, on peut noter l’adoption d’un code de conduite définissant ses grands principes de comportement et l’organisation mise en place pour veiller à son respect, les actions de ressources humaines en matière de politique de formation et d’encouragement à la diversité, le positionnement d’acteur et d’expert dans le domaine du développement durable et de l’environnement, la participation à des actions philanthropiques, la diversité et notamment le rôle et la promotion du leadership des femmes dans l’entreprise et surtout l’engagement en matière de responsabilité sociétale au travers d’une participation active à l’Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE).
Yves Medina est en effet co-fondateur de l’ORSE (4), dont il est le vice-président. Dans la perspective de comparer le Luxembourg et la France en matière de RSE, parmi toutes les activités de l’ORSE est notamment à souligner le Club Finance, qui a pour objectif de traiter les thématiques de développement durable en lien avec la finance. Ce club a élaboré un guide « Finance et développement durable » insistant les enjeux et responsabilités spécifiques aux acteurs financiers en matière de développement durable. Ces enjeux et responsabilités sont organisés autour de trois thématiques : instaurer une éthique des affaires irréprochable, intégrer les critères de développement durable dans les métiers et contribuer au renforcement du lien social.
Outre l’ORSE, un autre organisme, dont PwC France n’est pas membre, intervient en matière de RSE en France (6) : IMS-Entreprendre pour la cité : créée en 1986 par Claude Bébéar et un groupe de chefs d'entreprises, IMS-Entreprendre pour la Cité fédère plus de cent trente entreprises engagées dans des démarches de partenariat avec les autres acteurs de la Cité, dans une logique de développement durable. IMS a quatre pôles d’expertise : Engagement Citoyen, Gestion de la Diversité, Entreprises et Quartiers, Innovation Sociétale. L’approche est très orientée mécénat dans un sens large (7) mais souligne toutefois des valeurs rejoignant une morale des affaires : une recherche sur Google montre que le mot « éthique » est cité 52 fois, le mot « intégrité » 8 fois et le mot « déontologie » 4 fois. En particulier, le référentiel sociétal d’IMS prend en considération l'ensemble des réglementations, normes et référentiels internationaux existants constitue une base de données de bonnes pratiques et d'indicateurs de reporting sur différentes thématiques, dont les « pratiques business responsables », qui intègrent l’adoption de codes de conduite / chartes éthiques.
C’est IMS Entreprendre qui a servi de référent à la première association sur la RSE au Luxembourg.

L’approche luxembourgeoise : une démarche de prestige et une démonstration de ses moyens

L’association luxembourgeoise IMS Luxembourg a été lancée en avril 2007 (8) avec PwC Luxembourg comme membre fondateur et le ministère de l’Economie comme support. Parmi les six fondateurs cinq sont actifs dans le secteur financier comme membres de l’ALFI (Association Luxembourgeoise des Fonds d’Investissement) : PwC, KNEIP, Dexia, Axa et Noble & Scheidecker. Il n’y a guère qu’Arcelor-Mittal qui ne soit pas lié au secteur financier.
Cette association se présente comme une association d’entreprises œuvrant pour le développement des politiques de responsabilité sociale des entreprises au Luxembourg.
Le site internet (9) explique que l'activité d'IMS Luxembourg se concentre autour de quatre thèmes d'intervention : mécénat citoyen i.e. échange entre les entreprises et les associations, apports en compétences ou en matériel, mobilisation des salariés ; entreprises et territoires i.e. faciliter les relations entre les entreprises et les territoires où elles interviennent (aide à l'insertion professionnelle des jeunes, dialogue avec les collectivités locales, anticipation des mutations économiques…) ; gestion de la diversité i.e. lutte contre les discriminations dans l'entreprise ; innovation sociétale i.e. veille et recherche, en partenariat avec d'autres organismes, sur des thématiques sociétales émergentes.
Le site précise que la portée sociale et économique de la RSE implique que les entreprises soient attentives à avoir une croissance forte tout en permettant d'améliorer la vie locale, économique et culturelle et respecter ainsi les besoins de la société, que grâce à la RSE, les entreprises œuvrent au-delà des exigences légales, et que c’est un investissement à long terme, qui permet d'entretenir de bonnes relations mais aussi de nourrir une logique win/win avec toutes les parties prenantes de l'entreprise : consommateurs, investisseurs, collectivités locales, institutions, fournisseurs…
Outre le fait que la « croissance forte » est hors sujet pour la RSE (ce n’est d’ailleurs pas cité sur le site d’IMS-Entreprendre sous réserve de Lafarge qui cite l’expression à titre personnel pour se présenter dans un article d’IMS Actualités d’avril 2003) et qu’il manque le personnel dans cette énumération de parties prenantes sur le site, une recherche sur Google de quelques mots clés sur le site s’avère intéressante pour constater des manques : le site ne comporte en effet pas les mots clés « éthique », « intégrité », « déontologie ».

Lorsque l’on regarde sur le site internet de PwC Luxembourg (10) cette approche restrictive de la RSE se retrouve. PwC Luxembourg a ainsi mis en ligne récemment un clip vidéo de 7 minutes 23 en anglais sous le titre « Be aware - make a difference » dans lequel cinq valeurs de RSE sont citées : Market place, Environment , People, Culture et Ethics (11). Outre le fait que l’éthique vient en dernier, le clip ne consacre au sujet que 0.012% du temps du clip. Une recherche sur Google de quelques mots clés sur le site de PwC Luxembourg s’avère d’ailleurs intéressante pour constater les manques : si les mots « intégrité » « integrity » apparaissent « par raccroc » dans une formation de PwC Academy (12), « déontology » et « éthique » n’apparaissent pas ; en revanche le mot « ethic » est trouvé dans une brochure (13). Mais à la lecture on retombe sur une conception très orientée rejoignant la définition limitée de la RSE: « At PricewaterhouseCoopers, corporate social responsibility reflects our philosophy and our work ethic. We want to play our part in the growth of the Luxembourg economy but at the same time, we want to take care of our resources and support culture and art. In addition, PricewaterhouseCoopers actively supports several charities. Our commitment as a corporate citizen is closely linked to our values, our business strategy and our revenues ». Le mot « déontologie » est lui cité sur la version française de la même brochure alors que les deux termes ne sont pas substituables (14) : « Pour PricewaterhouseCoopers, la responsabilité sociale correspond à une véritable philosophie et à une déontologie dans la manière d’aborder les affaires. Contribuer au développement de l’économie luxembourgeoise, se soucier du bien-être de nos collaborateurs tout en parrainant la culture et l’art, soutenir activement des œuvres de bienfaisance : l’engagement de PricewaterhouseCoopers en tant qu’entreprise citoyenne est intimement lié à nos valeurs, à notre stratégie économique et à nos résultats. » (15). Aussi bien le texte anglais que français orientent la déontologie ou l’éthique d’une manière qui n’a rien à voir avec l’éthique des affaires.

En conclusion, la RSE au Luxembourg apparaît surtout comme une démonstration d’argent et de prestige : on montre le logo, on fait parler de soi dans des œuvres…, mais l’éthique comme la déontologie sont absentes de la culture luxembourgeoise de la RSE en général, et notamment de la culture de PwC Luxembourg en particulier comme le montre nettement le discours de l’entité locale.
PwC Luxembourg n’est pas très « aware » en particulier des enjeux pour le secteur financier, contrairement aux collègues français, ce qui est dommage pour le leader de l’audit sur une place financière : les actions de RSE telles qu’elles sont pratiquées au Luxembourg pourraient fort bien être un vecteur de nouvelles formes de blanchiment, une entreprise et des dirigeants respirant l’honnêteté en affaires et dans leur RSE mais ayant le souffle court pouvant en quelque sorte « s’acheter » une image respectable par leurs actions caritatives : une manière de réintégrer les externalités des mauvais comportements d’affaires.

Mais d’aucuns se demandent sans doute ce que pensent les collègues français des pratiques au Luxembourg (cf. articles précédents) que la conception luxembourgeoise de la RSE éclaire (16) ? Que penser des dysfonctionnements qui apparaissent dans des sources officielles et publiques quand les sociétés témoignent de pressions pour les chiffres par un discours sur la croissance forte parfois même érigée ouvertement en valeur d’entreprise ? Que penser du mauvais management et de la mauvaise gouvernance normalisés et banalisés sur une petite place où le décalage entre le dire et le faire est caricatural, et où la promiscuité fait vite glisser du conflit d’intérêt au risque de corruption ?

Selon la personne responsable du département Litiges et Investigations, le questionnement sur les pratiques luxembourgeoises est « inopportun » (sic) ; quand au déontologue il reste silencieux.

Outre le fait qu’ils affaiblissent la crédibilité de leur travail s’agissant de dysfonctionnements publics et officiels créateurs de risques, qu’ils devraient définitivement avoir l’indépendance de commenter à défaut de réprouver, ils pourraient méditer les propos de Me Jim Peterson (17) : « The large auditors' business model is broken, and their risks are unsustainable. The next large-firm failure will take down the other Big Three as well, just as fast as Arthur Andersen crashed in 2002, leaving large companies unable to obtain the current form of audit report from any source » (18)

Jérôme Turquey
Auditeur-conseil indépendant en éthique des affaires et risque de réputation
Chargé de cours en Master sur les paradis financiers

En savoir plus : ethiquedesplaces.blogspirit.com


(1) HEC, ENA, conseiller maître à la Cour des comptes en 1993, il a rejoint le cabinet PricewaterhouseCoopers en qualité de déontologue pour prendre la responsabilité de l'instruction, du suivi et de la résolution des questions d'ordre déontologique liées aux activités des firmes d'audit et de conseil du réseau.
(2) MEDINA (Y.), La déontologie Ce qui va changer dans l’entreprise. Paris, Editions d’Organisation, 190 p.
(3) Rapport 2005 et 2006
(4) www.orse.org
(5)www.imsentreprendre.com
(6) En revanche Deloitte et Ernst & Young en sont membres.
(7) Cela se retrouve dans les thèmes des initiatives des adhérents : Aide aux pays en développement, Culture, Développement local et territorial, Droits de l'Homme, Education et formation, Egalité des chances dans l'entreprise, Enfance et jeunesse, Environnement, Handicap, Insertion professionnelle, Insertion sociale, Lutte contre l'exclusion, Pratiques commerciales solidaires et Santé.
(8) Communiqué de presse du 20 avril 2007
(9) www.imslux.lu
(10) www.pwc.lu
(11) Par comparaison, sur le site d’IMS Luxembourg, PwC explique que la RSE a une place centrale dans son activité, que la société fait tout pour lui donner une signification pratique et quotidienne (recyclage des déchets, économies d’énergie, choix de nos fournisseurs, etc.) et que l’ensemble des collaborateurs est impliqué dans cette démarche. Et PwC de préciser 4 piliers : Ethics, Development of Luxembourg’s economy, Culture, People et Ecology & Environment. Ils énumèrent cinq piliers dont l’éthique en premier mais en annoncent quatre qui sont effectivement mis en œuvre par un retour d’expérience concret comme le montre le clip.
(12) La formation « L’art du manager-coach » annonce comme contenu le développement de Attitude Coach : les 4 dimensions du « savoir-être coach » : Humanisme – Intégrité – Pareto (aller à l’essentiel) – Energie. Une autre brochure de formation (Aktiengewinn – Concept, calcul et implications pratiques) indique en quatrième de couverture d’une manière générale non propre au Luxembourg que « PricewaterhouseCoopers (www.pwc.com) is the world’s largest professional services organisation. Drawing on the knowledge and skills of more than 120,000 people in 139 countries, we build relationships by providing services based on quality and integrity. »
(13) « Luxembourg ! » (pwc_recruitment_eng.pdf)
(14) La déontologie revoie à des devoirs dont le non respect expose à des sanctions alors que l’éthique est l'adhésion des personnes aux valeurs plutôt que l'observance de devoirs.
(15) « Luxembourg ! » (pwc_recruitment_fr.pdf)
(16) Le même constat est fait pour la communication en matière de RSE sur le site internet de Deloitte Luxembourg. KPMG Luxembourg se rapproche de la conception française. Ernst et Young Luxembourg a récemment radicalement changé sa communication dans un sens plus approprié qu’elle ne l’était.
(17) Avocat et consultant sur la gestion du risque
(18) « Saying the unthinkable », International Herald Tribune, 12 novembre 2007.


Lundi 19 Novembre 2007



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